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Axel de Bruxelles

26 mai 2007

Chapitre n

Le choix, toujours choisir, le maître mot incontournable pour avancer…

Et moi je piétinais depuis tant d’années. Choisir une filière scientifique, littéraire, artistique ou que sais-je encore en fin de seconde, choisir un cursus universitaire après son baccalauréat, choisir une première voiture, une première femme, et choisir encore et toujours.

Cette logique du choix, qui ne va pas sans celle de l’exclusion, et celle du doute. Pourquoi pas ne jamais choisir quand on le peut ?

Il faut bien, certes, choisir de tourner le volant dans le bon sens lorsque l’on aborde un virage en voiture, mais pourquoi ne pas limiter les choix aux sujets où ils sont véritablement vitaux, certains et immédiats ? Choisir une femme, d’aucun diront que c’est vital, mais à quel moment cela devient-il urgent. Est-ce jamais certain ?

Le déphasage statistiquement, essentiellement- par exemple entre un homme et une femme- et individuellement- par exemple entre deux êtres- inévitable de l’immédiateté du choix lorsqu’il se présente à deux personnes au moins ne rend-il pas de facto son existence même obsolète ? Le bien-fondé du choix n’est-il pas mort-né ?

Tout ceci est ridicule. Je n’ai pas lu la biographie de Descartes, mais savait-il choisir, s’obligeait-il à choisir, pouvait-il choisir lorsqu’il doutait et que sa survie n’en dépendait pas ? Pouvoir et devoir sont malheureusement parfois très étrangers l’un à l’autre.

Alors quand on doit mais qu’on ne peut pas- que l’on ne sait pas comme disent nos amis belges-, on avance par non choix, mais pire encore, on laisse choisir les autres, qui existent parce qu’ils n’ont pas adopté la même philosophie de vie, celle du doute et du non choix.

Il s’avère donc, me semble-t-il, indispensable, vital et incontournable qu’il faille choisir la voie du prosélytisme, ou à défaut s’entourer de gens qui pratiquent, consciemment ou pas, cette philosophie du non choix, de façon à ce que le choix des autres ne se substitue pas à mon non choix. Dès lors, les tourments infligés par les choix exclusifs à faire, ceux déjà faits mais auxquels l’épreuve du temps n’a pas donné raison, ceux qu’il aurait fallu faire plutôt que d’autres qui furent faits en leur lieu et place, ces tourments disé-je s’estomperont, et la vie ne sera pas encombrée et réduite par l’exclusion d’un choix auquel la voie diplomatique, celle du compromis, celle du consensus aurait peut-être permis d’échapper.

Diplomate, homme de dialogue et d’ouverture, tel est donc l’apanage naturel de l’homme de non choix. La diplomatie n’exclut d’ailleurs pas les hobbies, tel par exemple celui très pratiqué, c’est notoire, par nos amis belges, à savoir la collection. Et cette passion se décline sous de multiples formes, s’attache à moult objet, et s’accapare ses adeptes à des degrés divers.

Collectionneur, notre héros n’en est pas pour autant moins diplomate, ouvert et enclin à l’échange, bien au contraire.

La collection ne confine-t-elle pas d’ailleurs dans ces conditions à l’apologie de la philosophie du non choix ? Je ne choisis pas, a fortiori je multiplie les actes de non choix, je cumule ce qui ne devait pas l’être, je déroge à la règle socialement établie, je n’ai pas un suite de 6 fauteuils Louis XVI, j’ai tous les fauteuils qui m’ont ravis et qu’il a plu à Dieu de mettre sur ma route, ou sous mon postérieur, le temps de m’y assoupir une minute et de repartir avec, les poches vides mais le cœur en liesse de cette nouvelle découverte à peine initiée et si prometteuse.

Le collectionneur est curieux par nature, et diplomate par nécessité, à moins qu’il ne soit un voleur. Si les collectionneurs du monde formaient une confrérie, et qu’il faille qu’à sa tête une commission de collectionneurs étalons siégeât, il s’agirait sans conteste des plus pieux d’entre eux, les plus exemplaires de tous, dans l’appréhension et la mise en œuvre de la philosophie du non choix. Le choix de rien, et le choix de tout, c’est finalement à peu près la même chose. Nous dirons donc qu’il devrait exister deux branches antagonistes des adeptes de la philosophie du non choix, celle, radicale, de ceux qui refusent le choix, à moins qu’il ne soit et de façon concomitante vital, certain dans ses effets attendus et urgent, et celle, progressiste et libérale, de ceux qui ne choisissent rien mais adoptent beaucoup.

Il semblerait, à ce propos, que majoritairement les adeptes de la seconde branche soient plus à leur aise dans leur vie matérielle que ceux de la première, toutes choses étant égales par ailleurs. Par exemple, le refus du choix, dans le domaine automobile, peut tout aussi bien se traduire par l’absence de véhicule que par le cumul de véhicules. Aucun des deux ne trahit le courant auquel il prétend appartenir, ce sont simplement ces deux branches. Ni celui du piéton qui a refusé l’unique choix auquel il pouvait prétendre faute de moyens financiers suffisants, celui de son unique et hypothétique véhicule, ni celui du nanti qui possède cinquante voitures dans son garage, car la multiplication des choix dans un même domaine les annule. Si, je l’affirme, choisir beaucoup, quand cela est possible, c’est aussi ne pas choisir, donc admettre totalement l’inéluctabilité du doute, refuser le rejet et la marginalisation, c’est être généreux et modeste à la fois.

Si la commission des collectionneurs étalons devait avoir un maître, ce serait à n’en pas douter le plus généreux d’entre eux.

Freddo s’était abandonné un moment à ses pensées, et il lui semblait qu’il avait réussi pour la première fois de sa vie à unifier son être et ses aspirations, à pacifier son âme et ses entrailles. Il se découvrait grand gourou de la philosophie du non choix, mieux, à peine né, son courant de pensée se scindait en deux branches, dont la nouvelle extrapolait sans vergogne la pratique de ladite philosophie à une consommation singulière et frénétique. De musulman intégriste il devenait bouddhiste non pratiquant. Il pouvait être lui-même et intègre. Il avait légitimé la voie qu’il lui apparaissait avoir trouvé.  Diplomate, ouvert, à l’écoute, prolixe, modeste, généreux, la multiplication et la croissance de ses collections personnelles devaient matérialiser le modernisme d’une pourtant toute récente philosophie dont il était tour à tour géniteur et néo-dissident-réformateur.

Freddo élaborait, critiquait et amendait régulièrement et depuis sa toute jeunesse des théories sur la vie, dont la mise à l’épreuve se limitait malheureusement le plus souvent à sa propre expérience, compte tenu de l’intimité des sujets abordés. Tant et si bien que, quoi qu’il fût de formation scientifique et qu’il était donc toujours conscient de ce que les théories qui ne sont pas mises à l’épreuve des faits ne restent que de belles chimères, tout aussi bien d’ailleurs que les expériences relatées et qui ne heurtent pas une théorie éprouvée ne devraient pas être raillées, mais plutôt gardées en réserve, pour l’avenir, eh bien malgré ceci, la limitation de l’échantillon de population, cobaye et fondateur éventuel des théories de Freddo, à sa propre personne– fort heureusement peu représentative d’un échantillon normalisé- ne fondait guère autre chose que le désordre manifeste et imprévisible de la vie de notre héros.

Freddo avala une dernière gorgée de jus, tira une latte sur sa longue, et pris le chemin de la place du Jeu de (la) Ba(aaaa)lle, pour aller chiner quelque objet insolite, faire quelque rencontre intéressante, prendre l’air, en toute impunité. Il s’était mis en quête d’une nouvelle caisse pour son chat, Larky. Un persan de 10 ans, qui partageait sa vie depuis la mort de sa tante, 6 ans plus tôt. Larky était un chat que Freddo qualifiait d’indéfinissable. Il ne pouvait en dire plus. Ceux qui le connaissaient bien disaient quant à eux que Larky était dodu et ambigu, qu’ils hésitaient entre lui conférer une intelligence supérieure ou bien une bêtise proche d’une légère déficience mentale, mais qu’en tous les cas il était adorable, une vraie peluche ! On eut dit qu’hormis la pâtée et les caresses, le reste du monde n’avait pas d’emprise sur lui. Lui aussi était probablement bouddhiste, pratiquant, ce qui était d’autant plus surprenant compte tenu de ses origines ancestrales.

Freddo sortit sa voiture du garage et partit en direction du Palais de Justice. Il trouvait que c’était joli, le centre de Bruxelles, un dimanche matin ensoleillé. Il pensait aussi qu’il fallait en profiter car ce n’était pas si souvent et ça pouvait ne pas durer. Enfin la route était un véritable bonheur sans tous ces autres usagers des autres jours. Il trouva un stationnement irrégulier mais respectueux, dans une perpendiculaire à la rue Haute, et y inséra précautionneusement son bel engin. Le gentleman collectionneur s’extirpait du bolide, et, décidé, se dirigeait vers la place du marché aux puces, d’un pas à la fois assuré et désinvolte, un sourire gravé sur le visage, le regard tourné vers l’infini. Quelques deux ou trois cents mètres devaient le séparer de son but, pensait-il.

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